« Il faudrait développer la pédagogie active. Car pour susciter l’intérêt des élèves, il faut leur faire faire des choses. C’est en comprenant qu’ils apprennent. Il faut donc multiplier les expériences, les constructions, l’observation des formes géométriques dans la nature… « , recommande Pierre Léna, astrophysicien, membre de l’Académie des sciences et créateur de la fondation La main à la pâte, interrogé suite aux résultats de l’enquête TIMSS 2016.
On peut lire également dans l’Enquête PISA : « Dans les pays et économies les plus performants en résolution de problèmes, les élèves ne se contentent pas d’apprendre les matières du programme obligatoire ; ils apprennent également à transformer les problèmes de la vie réelle en autant de possibilités d’apprentissage – en se montrant inventifs dans la recherche de solutions et en menant des raisonnements ciblés à partir de situations ne relevant pas de contextes scolaires. Les résultats de l’évaluation PISA des compétences en résolution de problèmes montrent que les enseignants et les établissements d’enseignement peuvent encourager la capacité des élèves à affronter – et à résoudre – le type de problèmes qui se présentent presque tous les jours au XXIe siècle. »
Stella Baruk, professeur de mathématiques et chercheur en pédagogie a déjà dénoncé largement l’absence de sens donné par un grand nombre d’élèves en mathématiques.
Dans l’expérience menée à l’IREM de Grenoble, au problème suivant :
« Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l’âge du capitaine ? »
Sur 97 élèves, 76 ont donné une réponse en utilisant les nombres figurant dans l’énoncé : 26 ans ou 10 ans !
Nous avons tous vécu ce type d’expérience déconcertante qui nous questionne : mais comment les élèves peuvent-ils arriver à de tels résultats ?
Pour Stella Baruk [1], les élèves renoncent au sens. Elle interprète qu’ils n’ont plus besoin de comprendre pour réussir mais qu’ils doivent reproduire des techniques mathématiques mécaniques. Leur stratégie consiste à identifier le type de problème auquel ils ont affaire ; si on travaille la soustraction, l’élève peut déduire facilement que la séance proposée sur les problèmes inclura un problème utilisant une technique soustractive !
Stella Baruk fait l’éloge de l’analyse des erreurs avec les élèves afin qu’ils explicitent leur raisonnement et que l’enseignant, avec le groupe classe, puissent les aider à découvrir le sens du problème posé.
La collection ERMEL met en œuvre cette démarche qui s’appuie sur le sens donné aux apprentissages et sur l’analyse des erreurs.
Les nouveaux programmes en maternelle mettent l’accent sur l’importance d’ancrer les apprentissages dans le vécu des élèves parce que justement, le sens est construit par l’expérience.
Le domaine des grandeurs et mesures illustre bien l’importance d’avoir vécu les situations concrètes avant d’utiliser les unités usuelles puis de les intégrer à des situations abstraites de calcul dans les problèmes.
Comment donner du sens à des calculs sur des distances sans se représenter ce qu’est une longueur, un centimètre, un mètre ?
Comment calculer le temps nécessaire pour se rendre d’un lieu à un autre si on n’a jamais éprouvé la différence entre une seconde et une heure ?
Traduit sous forme de nombre, qu’elle est la différence ?
L’accès au sens passe donc par le vécu d’abord, puis une représentation de la situation (dessin, schéma, scénario…) pour aller vers une abstraction complète.
L’importance de la langue dans les énoncés de problème est également à souligner et à enseigner. Le langage courant, le langage scolaire et le langage mathématique peuvent constituer des obstacles à l’accès au sens pour les élèves.
Tous ces constats font que certains élèves que nous présentons comme très pertinents et ayant des capacités certaines en logique et en mathématiques, peuvent sembler perdre ces compétences lors du passage d’une situation réelle à une situation problème scolaire présentée sous forme d’un énoncé écrit.
Ainsi, à travers ce projet autour des photos, nous faisons les hypothèses :
Qu’en exerçant les élèves à repérer des situations réelles pouvant faire l’objet d’un investissement mathématique, ils se créent un panel de représentations qu’ils pourront ensuite remobiliser dans d’autres situations similaires.
Qu’ils construisent l’intérêt d’apprendre les mathématiques parce que cette discipline s’inscrit dans leur réalité de tous les jours.
Qu’ils mettent du sens afin de mettre en œuvre des procédures de résolution cohérentes.
L’utilisation de la photo permet de construire ce temps intermédiaire entre une situation vécue, réelle et une abstraction complète. Elle donne un appui pour construire le cheminement intellectuel d’une situation.
La progression proposée permet également d’exercer les élèves à chercher les informations implicites dans des documents (photos ou sites). Cette chasse aux indices, ludique pour les élèves, les invite à jouer, à chercher, comprendre, confronter, valider…C’est une auto-analyse des erreurs qui est proposée, soutenue par une démarche d’échanges entre pairs pour valider ou non les propositions.
Le traitement des informations données ou implicites s’enseigne. Il est indissociable de l’activité de résolution de problème.
Le mot du chercheur
M@ths en vie, une démarche qui facilite le passage de la représentation à la modélisation
Lire : cliquer ici
Une expérimentation menée auprès d’élèves
Le protocole
Nous avons soumis deux problèmes à 179 élèves de 9 classes différentes de CP (seulement 24 élèves), CE1 et CE2, au sein de 4 écoles avec des profils très différents.
Les problèmes proposés
experimentationÀ noter que les problèmes ont été impérativement réalisés par les élèves dans l’ordre proposé sur la fiche, afin de ne pas induire une procédure (dessin notamment) qui aurait été réalisée sur le problème « Les billes » après avoir été mise en œuvre sur le problème « Les œufs ».
Sur le premier problème, les deux données sont présentes dans l’énoncé et la photo n’est qu’une illustration du problème et n’apporte aucune information ou représentation mathématique.
Sur le deuxième problème, une seule donnée nécessaire à la résolution du problème est présente dans l’énoncé, mais la photo permet d’apporter l’autre donnée manquante et offre une représentation de la situation.
Nos hypothèses
Des élèves en difficulté ou en échec sur le premier problème vont entamer une procédure de résolution correcte pour le deuxième.
Des élèves ayant ajouté les deux données (4 et 5) sur le premier problème, vont entamer une procédure de résolution correcte pour le deuxième.
La représentation proposée sur le deuxième problème va inciter les élèves qui n’ont pas fait ou pas su se représenter le premier problème à schématiser un début de solution pour le deuxième.
Les résultats
Sur les 179 élèves, 160 ont mis en œuvre une démarche de résolution correcte pour les deux problèmes (multiplication, addition réitérée, schématisation et comptage des unités, sur-comptage…), soit 89%.
Nous comptons ici les élèves ayant trouvé les bons résultats mais également ceux ayant fait des erreurs de calcul.
Pour les autres élèves :
Pour 4 élèves, les procédures des deux problèmes ne sont pas interprétables.
15 élèves n’ont pas réussi le premier problème, mais pour le deuxième problème :
- 13 ont entamé une procédure de résolution correcte, soit 86% de ceux qui n’avait pas réussi le premier problème.
- 2 ont donné comme réponse 6 et se sont semble-t-il contentés de compter le nombre d’œufs dans la boîte (problème de compréhension de consigne ?).
Exemples de productions d’élèves
Élève 1
- Procédure entamée correcte pour le premier problème, mais pas de sens concernant le résultat : juxtaposition de 4 et 5.
- Procédure et résultat corrects pour le deuxième problème.
Élève 2
- Ajout du nombre de sacs et du nombre de billes de chaque sac.
- Procédure et résultat corrects pour le deuxième problème.
Conclusion
Le faible échantillon de cette expérimentation, et notamment de ceux qui n’ont pas réussi le premier problème, ne nous permet pas de conclure avec certitude sur l’efficacité réelle de l’aide apportée par la forme du problème.
Cependant, on peut tout de même noter que sur les 15 élèves en échec sur le premier problème, 13 ont réussi à se représenter concrètement la situation, à donner du sens à ce qu’ils faisaient et à mettre en œuvre une démarche de résolution correcte.
Pour poursuivre la réflexion…
Stella Baruk, les problèmes